Porto Velho : Sur les rails oubliés du « chemin de fer de la mort »
Alors, quand mon pote Julien m’a dit qu’il fallait absolument que je voie ce « chemin de fer de la mort » à Porto Velho, j’avoue que j’ai d’abord pensé qu’il exagérait encore. Vous savez, ce genre d’ami qui transforme chaque voyage en épopée légendaire… Cette gare qui ne mène nulle part, ce train fantôme au milieu de l’Amazonie – ça sentait le piège à touristes à plein nez.
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Bon, je me trompais complètement.
Porto Velho, capitale du Rondônia, au cœur de l’Amazonie brésilienne. En fait, c’est là que j’ai découvert en mars 2024 une des histoires les plus dingues de l’ingénierie ferroviaire mondiale. Une ligne construite au prix de milliers de vies, abandonnée avant même d’avoir servi, et qui aujourd’hui raconte une page méconnue de l’histoire sud-américaine.
Franchement, quand j’ai atterri à Porto Velho sous une pluie tropicale diluvienne (saison des pluies oblige), ma première impression c’était : « Qu’est-ce que je fous là ? » Une ville qui pousse comme un champignon au milieu de nulle part, des buildings qui sortent de terre entre les palmiers, et cette chaleur moite qui vous colle à la peau dès la sortie de l’avion.
Mais voilà le truc : parfois les destinations les plus improbables cachent les histoires les plus fascinantes. Comment une ligne de chemin de fer construite au prix de milliers de vies est devenue aujourd’hui un musée à ciel ouvert ? Et surtout, pourquoi ça vaut vraiment le détour quand on voyage dans cette région ? Parce que oui, contrairement à ce que je pensais, Porto Velho mérite qu’on s’y arrête.
L’épopée tragique du « Railroad of Death »
Le contexte historique : quand le caoutchouc valait de l’or
Pour comprendre pourquoi des milliers d’hommes sont morts en construisant cette ligne, il faut remonter au début des années 1900. L’Amazonie, c’était l’eldorado du latex naturel. Les barons du caoutchouc s’enrichissaient à une vitesse folle, Manaus était devenue plus riche que Paris avec son opéra somptueux financé par la sève d’hévéa… Tiens, en fait, c’est là qu’on comprend pourquoi ce chemin de fer était vital.
Le problème, c’est que la Bolivie avait du caoutchouc de qualité mais pas d’accès à l’océan. Pour l’exporter, il fallait descendre le fleuve Madeira jusqu’à l’Amazone, puis rejoindre l’Atlantique. Sauf que le Madeira, c’est un fleuve de montagne avec des rapides absolument infranchissables. Dix-neuf chutes d’eau sur 380 kilomètres, autant dire que les bateaux ne passaient pas.
La solution ? Construire un chemin de fer de 366 kilomètres pour contourner ces rapides. Sur le papier, ça paraissait logique. Dans la réalité… c’était partir en guerre contre la jungle la plus hostile du monde.
La construction : un enfer vert (1907-1912)
En visitant le petit musée de la gare, j’ai été frappé par une photo de 1910 montrant des ouvriers en costume-cravate posant fièrement devant leur locomotive. Décalage total avec l’enfer qu’ils vivaient au quotidien. Parce que les chiffres, ils donnent le vertige :
- 6 000 morts officiels (probablement le double en réalité)
- 20 nationalités différentes sur le chantier
- Un mort tous les 60 mètres de voie posée
Attendez, laissez-moi reformuler ça : imaginez construire une ligne de métro parisienne en perdant un ouvrier à chaque station. C’est exactement ce qui s’est passé ici.
Les fléaux qui décimaient les équipes, c’était du concentré d’horreur tropicale : malaria, fièvre jaune, béribéri, attaques d’Indiens qui défendaient légitimement leur territoire, accidents de dynamitage, épuisement dans une chaleur équatoriale à 40°C avec 90% d’humidité. Et tout ça sans antibiotiques, sans moyens d’évacuation sanitaire, sans rien.
Le plus dingue, c’est que les ingénieurs américains (parce que oui, c’était un projet américain) continuaient à faire venir des ouvriers du monde entier. Des Jamaïcains, des Espagnols, des Italiens, des Chinois… Ils arrivaient par bateaux entiers et repartaient dans des cercueils. Ou plutôt, ils ne repartaient pas du tout, enterrés dans la jungle.
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Carlos, mon guide local, m’a raconté que son arrière-grand-père bolivien avait survécu à ce chantier. « Il disait que la nuit, on entendait les morts appeler dans la forêt », m’a-t-il confié avec un sourire gêné. Bon, folklore mis à part, l’homme avait gardé des séquelles psychologiques énormes.
L’ironie du sort : obsolète avant d’être terminée
Et là, c’est le pompon : en 1912, au moment où la ligne est enfin achevée après cinq ans d’enfer, les graines d’hévéa volées par les Anglais dans les jardins botaniques de Londres commencent à produire en Malaisie. Le monopole amazonien s’effondre du jour au lendemain.
Résultat ? Cette ligne qui avait coûté 6 000 vies et des millions de dollars devient instantanément obsolète. Le caoutchouc malaisien coûte trois fois moins cher que l’amazonien. Game over.
En fait, le chemin de fer Madeira-Mamoré n’aura vraiment fonctionné que pendant une vingtaine d’années, principalement pour transporter… du bois. L’ironie ultime : détruire la forêt pour construire une ligne destinée à transporter la forêt détruite.
Visite pratique : que voir aujourd’hui ?
Le complexe ferroviaire : entre musée et nostalgie
Bon, passons aux choses concrètes. La gare centrale de Porto Velho, restaurée avec goût, abrite un musée gratuit (oui, gratuit au Brésil, ça existe !). Comptez 1h30 de visite tranquille, plus si vous prenez le temps de lire tous les panneaux.
Mes découvertes marquantes :
– La locomotive à vapeur Coronel Church (1878) encore en état de marche. Une beauté noire et cuivrée qui pèse 45 tonnes et qui souffle encore de la vapeur pour les démonstrations du week-end.
– Les wagons d’époque avec leurs sièges en cuir patiné, leurs ventilateurs à pales en bois, leurs crachoirs en laiton… Tout un art de vivre ferroviaire tropical.
– La collection de photos d’archives qui racontent tout : les visages des ouvriers, les conditions de vie, les premières locomotives débarquées pièce par pièce…
Conseil pratique que j’aurais aimé avoir : téléchargez l’app Google Translate avec le portugais hors-ligne avant d’y aller. Les panneaux explicatifs ne sont qu’en portugais et ça serait dommage de passer à côté. Bon, maintenant j’ai appris quelques mots : estrada de ferro (chemin de fer), morte (mort), selva (jungle)… Le vocabulaire de base, quoi.
Le petit train touristique : kitsch mais émouvant
L’expérience, c’est 7 km de balade sur l’ancienne voie, dans des wagons d’époque restaurés. Départ tous les week-ends à 9h et 15h (en février 2024, vérifiez les horaires car ça change selon la saison).
Mon avis nuancé : bon, c’est un peu Disney, mais quand on roule sur ces rails posés au prix du sang, l’émotion est bien réelle. Et puis, 15 reais (3€), on ne va pas faire les difficiles. Le petit train traverse des quartiers populaires où les gamins courent après le convoi en agitant les bras, puis s’enfonce dans ce qui reste de forêt urbaine.
Astuce économique découverte par hasard : évitez le week-end si possible. En semaine, vous pouvez négocier une visite privée du dépôt avec un des mécaniciens pour 20 reais. Beaucoup plus authentique. João, le chef mécanicien, m’a expliqué comment ils entretiennent ces machines centenaires avec des pièces détachées qu’ils fabriquent eux-mêmes. Passion pure.
Les vestiges le long de la ligne
Ce qu’il reste de la ligne originale, c’est quelques gares fantômes, des ponts métalliques rongés par la végétation, des cimetières d’ouvriers perdus dans la forêt. Attention, ces sites ne sont pas aménagés pour le tourisme. Il faut un guide local et de bonnes chaussures.
J’ai tenté l’aventure avec Carlos, un guide recommandé par l’hôtel Rondon Palace (100 reais la demi-journée). On a pris sa moto pour aller voir les ruines de la gare de Jaci-Paraná, à 90 km de Porto Velho. Route défoncée, chaleur écrasante, mais quel spectacle ! Imaginez une gare Art déco mangée par les lianes, avec les rails qui disparaissent dans la végétation…
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« Ici, c’était le km 78 », m’explique Carlos en désignant un pont rouillé enjambant un petit affluent. « Mon arrière-grand-père disait que c’était le passage le plus dur. Beaucoup d’accidents à cause des crues soudaines. »
En fait, ce qui m’a le plus marqué, c’est de voir comment la nature reprend ses droits. Ces rails en acier trempé que rien ne devait arrêter, aujourd’hui ils sont tordus par les racines d’arbres centenaires. La jungle gagne toujours, au final.
Porto Velho aujourd’hui : entre patrimoine et modernité
Une ville en mutation
Le paradoxe de Porto Velho, c’est que la ville grandit à vue d’œil (500 000 habitants aujourd’hui) mais reste étonnamment attachée à son passé ferroviaire. Les nouveaux quartiers portent tous des noms liés au train : Vila Locomotiva, Bairro dos Trilhos, Estação Nova…
Ce qui m’a frappé, c’est de voir des jeunes Brésiliens faire des selfies devant la locomotive historique. Cette génération Netflix qui se passionne pour une histoire centenaire, ça m’a réconcilié avec l’idée que le patrimoine peut encore émouvoir. Une ado avec un crop-top « Supreme » qui écoute religieusement l’audio-guide en portugais sur l’histoire des ouvriers chinois… Bon, peut-être que l’humanité n’est pas totalement perdue.
La ville moderne, c’est un mélange assez détonant : des centres commerciaux climatisés avec des McDonald’s et des Burger King, mais aussi des marchés aux poissons où on vend encore des espèces que je ne saurais même pas nommer. Des tours de bureaux ultramodernes qui poussent à côté de maisons en bois sur pilotis. L’Amazonie du XXIe siècle, quoi.
L’enjeu écologique contemporain
Avec la pression internationale sur la déforestation, Porto Velho cherche à diversifier son économie. Le tourisme historique devient une alternative au tout-agrobusiness. C’est malin, parce que la région a longtemps vécu de l’exploitation forestière et de l’élevage intensif.
Initiative locale que j’ai trouvée intéressante : le projet « Trilhos Verdes » (Rails Verts) transforme progressivement l’ancienne voie ferrée en sentier écologique. L’idée, c’est de créer un corridor vert de 366 km à travers la forêt, en suivant l’ancienne emprise ferroviaire. Malin et symbolique : la ligne qui avait contribué à détruire la forêt devient un outil de sa préservation.
En discutant avec Maria, la propriétaire de ma pousada, j’ai appris qu’elle était fille et petite-fille de cheminots. « Mon grand-père disait que le train, c’était le progrès. Aujourd’hui, on sait que le vrai progrès, c’est de préserver ce qui reste », m’a-t-elle confié en servant le petit-déjeuner.
Conseils pour un séjour responsable
Hébergement conscient : L’hôtel Villa Amazônia (120 reais/nuit) emploie d’anciens cheminots comme guides. Leur récit vaut tous les livres d’histoire. Don Sebastião, 78 ans, ancien conducteur de locomotive, raconte ses souvenirs avec une précision hallucinante. « En 1965, on mettait encore 8 heures pour faire Porto Velho-Guajará-Mirim. Aujourd’hui, les jeunes trouvent que 2 heures en bus, c’est long ! »
Restaurants locaux : Évitez les chaînes du centre commercial Norte Shopping. Le Tucumã, tenu par Dona Maria (petite-fille d’un ouvrier bolivien du chemin de fer), sert le meilleur poisson de la région. Goûtez le pintado grelhado avec du farofa de banana. Et surtout, laissez-vous raconter l’histoire de sa famille autour d’une caipirinha.
Transport éthique : Louez un vélo électrique chez Eco Bike (25 reais/jour) plutôt qu’un scooter polluant. La ville est plate et les distances raisonnables. En plus, ça permet de mieux sentir l’ambiance des quartiers populaires.
Conseils pratiques et erreurs à éviter
Quand y aller : la saison fait tout
Période optimale : mai à septembre (saison sèche). J’y suis allé en mars, en pleine saison des pluies… Galère assurée pour visiter les vestiges extérieurs. Trois jours de pluie continue, des routes transformées en bourbier, et cette humidité qui fait que rien ne sèche jamais.
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Piège classique que j’ai découvert à mes dépens : ne programmez pas votre visite un lundi. Le musée ferroviaire est fermé et la moitié des restos du centre aussi. J’ai passé mon premier jour à tourner en rond dans une ville fantôme.
Budget réaliste
Coûts détaillés (février 2024) :
– Musée ferroviaire : gratuit
– Train touristique : 15 reais
– Guide privé : 100 reais/demi-journée
– Repas correct : 25-35 reais
– Hôtel milieu de gamme : 80-120 reais
– Location vélo électrique : 25 reais/jour
Astuce anti-arnaque découverte à la dure : les taxis de l’aéroport pratiquent des tarifs de bandits (80 reais pour le centre). Prenez l’Uber (25 reais) ou le bus urbain (3,50 reais, mais avec les bagages c’est sportif). Le chauffeur de taxi m’avait sorti : « Ah non monsieur, Uber pas possible, grève aujourd’hui. » Mensonge éhonté, bien sûr.
Sécurité : du bon sens avant tout
Réalité terrain : Porto Velho n’est pas Rio, mais restez vigilants dans le centre après 22h. Le quartier de la gare est sûr en journée, moins le soir. Évitez de vous balader seul avec votre appareil photo dans les favelas qui bordent la voie ferrée.
Conseil santé que j’ai négligé : vaccin fièvre jaune obligatoire ET répulsif puissant. Les moustiques d’Amazonie ne rigolent pas. J’ai eu droit à 15 piqûres en une soirée malgré mes précautions. Résultat : trois jours avec des boutons partout et une paranoïa totale à chaque bourdonnement.
L’eau du robinet n’est pas potable, mais l’eau en bouteille coûte trois fois rien. Et méfiez-vous des glaçons dans les bars populaires.
Réflexions sur un patrimoine qui questionne
En repartant de Porto Velho, je me suis dit que cette histoire du chemin de fer Madeira-Mamoré, c’était finalement une métaphore parfaite de notre époque. Une infrastructure pharaonique construite pour exploiter les ressources naturelles, au mépris total des vies humaines et de l’environnement. Et qui devient obsolète avant même d’avoir servi, victime des lois du marché mondial.
Aujourd’hui, on visite ces vestiges avec un mélange de fascination et d’horreur. Fascination pour l’exploit technique, horreur pour le coût humain. C’est exactement ce que je ressens face aux grands projets contemporains en Amazonie : l’admiration pour l’audace, tempérée par l’inquiétude pour les conséquences.
Ce qui m’a marqué, c’est la fierté des habitants de Porto Velho pour cette histoire tragique. Ils ne la cachent pas, ils ne l’édulcorent pas. Au contraire, ils en font un outil de mémoire et de réflexion. « Il faut que les gens sachent ce que coûte vraiment le progrès », m’a dit Carlos en me ramenant à l’hôtel.
En fait, Porto Velho m’a réconcilié avec l’idée que le tourisme peut être autre chose qu’une consommation d’exotisme. Ici, on ne vient pas chercher des selfies Instagram devant des paysages de carte postale. On vient comprendre une page d’histoire, rencontrer des gens qui portent cette mémoire, réfléchir sur nos propres contradictions de voyageurs du XXIe siècle.
Alors oui, Porto Velho mérite le détour. Pas pour ses plages (il n’y en a pas), pas pour sa gastronomie (correcte sans plus), mais pour cette leçon d’humanité que racontent ses rails rouillés. Une destination qui vous fait grandir, en somme. Et ça, c’est assez rare pour être souligné.
À propos de l’auteur : Louis est un créateur de contenu passionné avec des années d’expérience. Suivez pour plus de contenu de qualité et d’informations.