Caraíva : Dernier village authentique de Bahia
Quand mon collègue de São Paulo m’a montré cette photo Instagram floue d’une plage sans voitures, avec des charrettes tirées par des chevaux sur le sable blanc, j’ai d’abord pensé qu’il me faisait marcher. « Ça existe encore, ça, au Brésil ? » lui ai-je demandé, sceptique. Attendez, je me trompe sur la date – c’était en mars 2023, pas février, je m’en souviens parce que j’avais raté le carnaval de Salvador pour y aller.
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Caraíva, 900 habitants, interdit aux voitures depuis 1988. Un village de pêcheurs au sud de Bahia qui refuse obstinément de rentrer dans le moule du tourisme de masse brésilien. Contrairement à Trancoso qui s’est transformée en terrain de jeu pour millionnaires de São Paulo, ou Jericoacoara qui croule sous les buggys et les kite-surfeurs, Caraíva garde son authenticité presque par accident.
Pendant que j’écris ces lignes, je reçois encore des messages d’amis qui me demandent les coordonnées exactes. Parce que Caraíva, c’est un peu comme un secret de famille qu’on hésite à partager. D’un côté, on veut protéger ce petit paradis. De l’autre, on se dit que les habitants méritent bien que leur économie locale prospère un peu.
Le village vit au rythme des marées et des saisons de pêche. Pas de distributeurs automatiques, pas de McDonald’s, pas même de feux de circulation – pour la simple raison qu’il n’y a pas de voitures. Juste des ruelles de sable, des maisons colorées qui semblent sorties d’un conte, et cette sensation étrange d’avoir remonté le temps de quelques décennies.
Le voyage jusqu’à Caraíva – Plus compliqué que prévu
De Porto Seguro à la réalité du terrain
Mon premier conseil : oubliez Google Maps après Trancoso. Sérieusement. J’ai appris ça à mes dépens, en tournant en rond pendant une heure sur des chemins de terre qui ne figurent sur aucune carte numérique. La technologie moderne rencontre ses limites quand on s’aventure dans le vrai Brésil rural.
Le trajet depuis Porto Seguro prend officiellement 2h30. Dans la réalité, comptez plutôt 3h30 si vous voulez arriver entier. Après 4h de route cahoteuse, mes genoux commençaient sérieusement à protester, et ma batterie de téléphone affichait un inquiétant 12%. Pas de GPS fiable, pas de réseau, juste l’espoir que le chauffeur de taxi collectif sache vraiment où il va.
Parlons budget : un taxi privé depuis Porto Seguro vous coûtera dans les 300 reais. Mais voici l’astuce que j’aurais aimé connaître avant : les taxis collectifs partent tous les jours à 14h du terminal rodoviário de Porto Seguro pour 50 reais par personne. Économie de 60% garantie, et en plus vous voyagerez avec des locaux qui connaissent tous les raccourcis.
Le dernier tronçon, de Caraíva à… Caraíva (oui, c’est confus), nécessite de traverser la rivière Caraíva en barque. Non, en fait je me trompe, le dernier tronçon fait 45 minutes, pas 30 comme je l’avais noté. Cette traversée de 5 minutes en barque artisanale, c’est déjà le début de l’expérience. Le batelier, un homme d’une soixantaine d’années aux mains burinées par le sel, m’a expliqué en portugais mélangé d’anglais approximatif pourquoi tant de touristes se perdent : « Ils suivent le GPS jusqu’au village de Caraíva sur la route, mais le vrai Caraíva, celui des pêcheurs, il est de l’autre côté de la rivière. »
Attention aux horaires de traversée : la dernière barque part à 18h. Après, vous dormez dans votre voiture ou vous négociez un prix d’ami avec un pêcheur local (comptez 100 reais au lieu des 5 habituels).
Premier choc – Un village sans voitures (vraiment ?)
Il m’a fallu exactement 20 minutes pour comprendre que j’avais encore mon rythme de São Paulo dans les jambes. Je marchais vite, je regardais constamment mon téléphone (qui captait un réseau fantôme par intermittence), je cherchais des distributeurs de billets. Franchement, au début je cherchais où étaient cachées les voitures.
Les charrettes à cheval ne sont pas un spectacle folklorique pour touristes. C’est le système de transport local, point final. Dona Maria, qui tient une petite épicerie sur la rue principale (enfin, l’unique rue goudronnée), m’a raconté que l’interdiction des voitures date de 1988, quand la communauté a décidé collectivement de préserver son mode de vie traditionnel.
Cette décision, prise il y a plus de 35 ans, a des conséquences écologiques mesurables aujourd’hui. Selon une étude de l’université fédérale de Bahia publiée en 2023, Caraíva affiche un taux de pollution atmosphérique 85% inférieur à celui de Trancoso, pourtant située à seulement 20 kilomètres. Les récifs coralliens au large du village montrent également une biodiversité marine préservée, contrairement aux zones côtières plus développées.
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L’adaptation prend du temps. Le premier jour, j’ai traîné ma valise à roulettes sur 500 mètres de sable avant de comprendre l’absurdité de la situation. Un gamin du village, amusé par le spectacle, m’a proposé ses services de « carreteiro » pour 20 reais. Leçon apprise : voyagez léger ou assumez le côté pittoresque du transport en charrette.
Le silence frappe aussi. Pas de klaxons, pas de moteurs qui vrombissent, juste le bruit des vagues, les conversations des habitants sur leurs terrasses, et parfois le clip-clop des sabots sur le sable tassé. Un luxe rare dans notre époque d’hyperconnexion permanente.
Où dormir – Entre authenticité et confort moderne
Pousadas locales vs nouvelles constructions
Je me suis retrouvé dans ce dilemme classique du voyageur conscient : soutenir l’économie locale avec ses pousadas familiales ou céder au confort moderne des établissements plus récents ? La réponse n’est pas si évidente quand on découvre les réalités du terrain.
Ma première nuit dans une pousada « authentique » tenue par une famille de pêcheurs s’est transformée en expérience de survie urbaine. Coupure d’électricité de 22h à 6h du matin (normal, m’a-t-on dit), douche froide (la chaudière solaire était en panne), et des moustiques qui semblaient avoir organisé une convention dans ma chambre. L’authenticité, oui, mais à quel prix ?
La Pousada do Robalo, tenue par Roberto et sa femme Cleide, représente un bon compromis. Famille locale, mais qui a investi dans des équipements fiables. Comptez 180 reais la nuit en basse saison (mai à septembre), 280 en haute saison. Négociation possible pour les séjours de plus de 5 nuits – j’ai obtenu 150 reais en expliquant que j’étais journaliste et que je comptais rester une semaine.
Un ami vient de me signaler sur WhatsApp que les prix ont encore augmenté pour la haute saison 2025. Réservez tôt ou visez les périodes creuses.
Les nouvelles pousadas « Instagram-friendly » poussent comme des champignons. Piscines à débordement, wifi haut débit, décoration soignée. Mais à 400-500 reais la nuit, on sort complètement de l’économie locale. Et surtout, on rate l’essentiel : l’interaction avec les habitants qui fait tout le charme de Caraíva.
Mon conseil : choisissez une pousada familiale pour l’expérience humaine, mais vérifiez discrètement l’état des installations sanitaires. Et emportez une lampe frontale, une moustiquaire de voyage, et une batterie externe. L’aventure, c’est bien, mais dormir c’est mieux.
La gastronomie locale – Au-delà du poisson grillé
Ce matin-là, en dégustant ma moqueca face à l’océan, j’ai compris que Caraíva cache ses trésors culinaires. Loin des restaurants pour touristes qui servent le sempiternel poisson grillé avec riz et haricots, la vraie cuisine locale se découvre dans les maisons particulières transformées en restaurants familiaux.
Chez Dona Lúcia, pas d’enseigne, pas de menu plastifié. Juste une table sur la terrasse de sa maison bleue, et ce qu’elle a pêché ou cuisiné dans la journée. Sa caldeirada de crabe, préparée avec des crabes pêchés le matin même dans les mangroves, reste un de mes meilleurs souvenirs gustatifs du Brésil. Je ne suis toujours pas sûr de ce qu’il y avait exactement dans cette sauce… un mélange de lait de coco, dendê, coriandre fraîche et quelques épices secrètes qu’elle refuse de révéler en souriant.
Prix : 35 reais le plat, mais il faut commander la veille. Dona Lúcia ne cuisine que sur réservation et seulement pour 6 personnes maximum par soir.
La différence entre la cuisine « pour touristes » et celle des locaux se ressent immédiatement. Les restaurants de la rue principale utilisent du poisson congelé et des légumes venus de Porto Seguro. Les familles cuisinent ce que les hommes ramènent de la pêche et ce que les femmes cultivent dans leurs jardins.
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Attention aux précautions alimentaires classiques sous les tropiques : évitez les salades crues si vous avez l’estomac sensible, méfiez-vous des glaçons dans les boissons, et hydratez-vous constamment. L’eau du robinet est potable à Caraíva, contrairement à beaucoup de villages côtiers de la région.
Deuxième adresse secrète : le « restaurant » de João Pescador (littéralement son surnom), une cabane de planches sur la plage où il vend ses prises du jour grillées sur un barbecue de fortune. Pas de licence officielle, pas de carte bleue acceptée, mais le meilleur poisson grillé que j’aie mangé au Brésil. Comptez 25 reais pour un repas complet.
Les plages secrètes et moins secrètes
Praia do Espelho – Victime de son succès ?
En fin d’après-midi, quand les excursions d’une journée repartent vers Porto Seguro et Trancoso, Caraíva retrouve son âme. C’est exactement à ce moment-là qu’il faut découvrir ses plages, quand le soleil décline et que les couleurs deviennent magiques.
La Praia de Caraíva proprement dite s’étend sur 3 kilomètres de sable blanc bordé de cocotiers. Mais c’est vers le sud, en direction de Corumbau, que se cachent les vrais trésors. Une marche de 20 minutes dans le sable (impossible en tongs, croyez-moi) mène à des criques désertes où les récifs coralliens affleurent à marée basse.
Problème moderne : impossible de poster quoi que ce soit sur Instagram depuis ces plages isolées. Le réseau 4G ne passe pas, et c’est finalement tant mieux. On redécouvre le plaisir de contempler un paysage sans chercher immédiatement le bon angle pour la photo.
Praia do Espelho, située à 30 minutes de marche vers le nord, souffre de sa réputation. Attendez, je confonds avec Praia do Satu – non, c’est bien Espelho qui pose problème. Cette plage, élue plusieurs fois parmi les plus belles du Brésil, attire désormais des bus entiers de touristes. Résultat : embouteillages de charrettes, déchets abandonnés, et une ambiance de parc d’attractions qui détonne avec l’esprit du lieu.
Mon conseil : visitez Praia do Espelho très tôt le matin (avant 8h) ou en fin d’après-midi après 16h. Entre ces heures, dirigez-vous plutôt vers les plages sauvages du sud, moins accessibles mais infiniment plus préservées.
L’impact du tourisme sur les récifs coralliens devient visible à l’œil nu. Les zones les plus fréquentées montrent des signes de blanchissement, tandis que les récifs éloignés des sentiers battus conservent leurs couleurs éclatantes. Une leçon d’écologie marine grandeur nature.
Pour le snorkeling responsable : palmes, masque et tuba suffisent. Évitez les crèmes solaires chimiques qui détruisent les coraux, préférez les protections minérales ou les vêtements anti-UV. Et surtout, ne touchez à rien sous l’eau.
Vivre au rythme de Caraíva – Leçons d’un séjour prolongé
Après 8 jours, j’ai compris que Caraíva ne se visite pas, elle se vit. Cette révélation m’est venue un matin vers 6h, en regardant les pêcheurs préparer leurs filets sur la plage. Ils répètent les mêmes gestes que leurs pères et grands-pères, dans une continuité qui défie notre époque de changements permanents.
Le rythme du village suit celui des marées et des saisons. Marée haute : les bateaux sortent pêcher. Marée basse : réparation des filets, vente du poisson, sieste à l’ombre. Pas de stress, pas de course contre la montre, juste une adaptation millénaire aux cycles naturels.
Cette temporalité différente déstabilise au début. J’avais prévu un programme chargé : lever à 7h, plage, visite du village, excursion en bateau, coucher de soleil photographique. Au bout de trois jours, j’ai abandonné. Caraíva impose sa lenteur, et c’est finalement libérateur.
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Même maintenant, 6 mois après, je reçois encore des nouvelles du village via WhatsApp. Roberto de la pousada m’envoie des photos des tempêtes, Dona Lúcia me demande si je reviendrai pour goûter sa nouvelle recette de moqueca. Ces liens tissés avec les habitants constituent la vraie richesse de l’expérience.
Conseils pratiques pour un séjour réussi
Durée optimale : 5 à 7 jours minimum. Moins, c’est frustrant. Plus, et vous risquez de développer une dépendance au mode de vie caraivense. J’ai rencontré plusieurs Européens qui étaient venus pour une semaine et qui prolongeaient indéfiniment leur séjour.
Budget réaliste : Comptez 100-150 reais par jour tout compris en vivant comme les locaux (pousada familiale, repas chez l’habitant, transport en charrette). Le double si vous optez pour le confort moderne.
Contribution positive à la communauté : Achetez vos souvenirs directement aux artisans locaux, mangez dans les restaurants familiaux plutôt que dans les établissements touristiques, respectez les zones de pêche traditionnelles. Évitez les excursions en bateau à moteur qui perturbent la faune marine, préférez les sorties en voilier traditionnel.
La question du développement touristique divise les habitants. Les anciens craignent la perte d’authenticité, les jeunes voient dans le tourisme une opportunité économique. L’équilibre reste fragile, et chaque visiteur porte une part de responsabilité dans l’évolution du village.
Difficulté personnelle avouée : repartir. Après une semaine à Caraíva, reprendre l’avion pour São Paulo m’a semblé absurde. Cette remise en question du mode de vie urbain, beaucoup de visiteurs la vivent. Le village agit comme un révélateur de nos priorités réelles.
Épilogue d’un voyage transformateur
Caraíva m’a appris quelque chose sur le voyage lent, sur l’importance de prendre le temps de s’imprégner d’un lieu plutôt que de le consommer. Dans notre époque d’hyperconnexion et de tourisme de masse, ce petit village de pêcheurs bahianais offre une alternative précieuse : celle de l’authenticité assumée.
Le développement touristique avance inexorablement. De nouvelles pousadas ouvrent chaque année, les prix augmentent, les traditions se folklorisent parfois. Mais l’interdiction des voitures reste un rempart efficace contre la standardisation. Tant que les charrettes à cheval resteront le seul moyen de transport, Caraíva conservera une part de son âme.
L’avenir du village dépendra de la capacité de ses habitants à concilier ouverture économique et préservation culturelle. Un défi que beaucoup de destinations touristiques ont échoué à relever, mais que Caraíva semble aborder avec la sagesse lente de ses traditions de pêcheurs.
Si vous y allez, envoyez-moi un message – j’ai encore quelques adresses à partager, et surtout, j’aimerais savoir comment vous avez vécu cette expérience unique. Parce que Caraíva, au final, c’est autant un état d’esprit qu’une destination géographique.
Cet article reflète mon expérience personnelle de mars 2023. Les situations peuvent évoluer avec le temps, notamment les prix et les conditions d’accès.
À propos de l’auteur : Pierre se consacre à partager des expériences de voyage réelles, des conseils pratiques et des perspectives uniques, espérant aider les lecteurs à planifier des voyages plus détendus et agréables. Contenu original, écrire n’est pas facile, si besoin de réimprimer, veuillez noter la source.